Outre leurs exploits sportifs, les navigatrices Maud Fontenoy et Alexia Barrier partagent leur passion de la mer et un combat sans limite pour la préservation des océans. Extraits d’un entretien paru dans le mensuel économique EcoRéseau (avril 2016).
A quel moment êtes-vous devenue cette navigatrice engagée ?
Maud Fontenoy : J’ai passé les quinze premières années de ma vie sur un voilier. Après mes études, j’ai fait le choix de repartir dans des aventures maritimes pour montrer qu’avec de la volonté et du courage les hommes pouvaient se dépasser et réaliser des choses plus grandes qu’eux. En traversant l’océan à la rame, en simplifiant l’aventure à l’extrême, je voulais montrer qu’il était possible de se déposséder de tout pour réaliser quelque chose de grand, et que sur ce plan là, nous étions tous égaux. J’ai créé ma première association à l’âge de 18 ans « Les petits aventuriers », puis l’association « Jeunes marins briards », qui faisait naviguer des jeunes des quartiers sur une yole de Bantry. Au fond, mes aventures sportives ont mis un peu de lumière sur ce que je réalisais depuis longtemps dans l’ombre.
Alexia Barrier : Je passe environ 200 jours par an en mer. Si je suis engagée, c’est en quelque sorte par obligation, car il m’est impossible de ne pas témoigner de ce que je vois. Il y a 10 ans, quand nous approchions des côtes, nous sentions l’odeur de la terre. Aujourd’hui, ce sont les déchets qui flottent à la surface de l’eau qui nous indiquent que la terre n’est pas loin. C’est terrifiant. Mais plutôt qu’un discours moraliste, je préfère rester optimiste en travaillant sur des choses simples au quotidien car je suis persuadée que c’est ainsi que l’on pourra changer les choses.
Il y a aujourd’hui une urgence écologique planétaire. Quel est le sens de votre combat ?
MF : Mon combat a débuté par la préservation des océans. N’oublions pas que la vie est née il y a 4 milliards d’années dans les océans. Aujourd’hui, nous y revenons pour des problématiques liées à l’énergie. Quand on sait que la densité de l’air est mille fois inférieure à la densité de l’eau, on imagine la capacité énergétique des éoliennes. Les océans représentent le potentiel énergétique mais pas seulement. Prenez la médecine : 22 000 médicaments viennent des océans, 13 prix Nobel ont été remis à des chercheurs pour leur travaux sur les océans. Ceux-ci recèlent une multitude d’organismes plus étonnants les uns que les autres et dont on sait qu’ils sont utiles pour la recherche médicale et pharmaceutique.
N’oublions pas non plus que l’océan est notre garde manger. Je ne suis pas pour mettre sous cloche la nature. Je pense aux générations futures qui sont de plus en plus nombreuses. Les océans sont le poumon de l’humanité : plus de la moitié de l’oxygène que l’on respire vient des océans. Nous avons longtemps cru qu’ils étaient un puits sans fonds or c’est faux. Ils couvrent 70 % de la surface de la planète et sont un immense dépotoir à ciel ouvert, où s’accumulent les déchets de l’humanité : 7 millions de tonnes de déchets chaque année, dont environ 269 000 tonnes de déchets plastiques flottants.
Aujourd’hui, on parle d’écologie et d’économie bleue. Les hommes retournent vers ce grand bleu immense pour y trouver des solutions pour sa survie. On ne connaît qu’1% de ce que nous réserve les océans, ce qui est infime. Les potentiels sont incroyables, nous avons aujourd’hui les moyens de pouvoir comprendre les écosystèmes, tout cela est fascinant.
AB : J’ai créé l’association 4myplanet qui est un projet complet au service de la planète, un défi au service de l’environnement. 4myplanet est aussi le nom du voilier expérimental avec lequel j’ai réalisé le tour du monde en solitaire en 2010. A travers ce concept, je souhaite promouvoir et défendre des valeurs intimement liées, qui sont celles du sport, de l’éducation, et de l’environnement. Il s’agit d’un véritable challenge pour moi. Ce projet a pour objectif de contribuer concrètement aux avancées scientifiques et technologiques portant les enjeux climatiques de la planète. J’interviens également auprès des enfants dans les écoles. Chaque année, le 8 juin, à l’occasion de la Journée mondiale de l’océan, j’organise une journée en mer pour leur faire découvrir ce milieu que j’aime tant. Je ne suis pas une experte mais j’aime l’idée d’être un outil au service des scientifiques pour relayer l’information auprès du grand public.
Quelle est votre plus grande fierté ?
MF : Sur un plan personnel, mes enfants sont ma plus grande fierté. Sur un plan professionnel, c’est d’avoir eu le courage de me lancer en politique, d’apporter ma pierre à l’édifice dans ce milieu très difficile, complexe, rude, où l’on est forcément incompris par ses proches. Je l’ai fait vraiment pour la cause car j’avais tout à y perdre. J’aurais pu rester tranquille dans mon coin. Mais si l’on attend toujours des autres, il ne se passe rien. Engagez-vous, c’est le message que je souhaite transmettre.
AB : Ma plus grande fierté, c’est d’avoir réalisé mes rêves d’enfants. Je suis fière de vivre de ma passion, de réaliser les projets que j’entreprends, d’avoir pu créer mon association 4myplanet et surtout de pouvoir partager ma passion avec le plus grand nombre de personnes.
De quoi avez-vous peur ?
MF : J’ai peur de la mort. On a beau vouloir changer le monde, pouvoir envoyer Curiosity sur Mars, un jour on meurt… J’aime tellement la vie que je suis prête à tout risquer pour elle, pour être digne de la chance qu’on a d’être vivant. C’est un paradoxe de se dire qu’on peut réaliser des exploits incroyables et mourir demain en traversant la route. Ce contraste m’a toujours fascinée. Toute la volonté du monde ne me rendra pas immortelle.
AB : La bêtise humaine m’effraie. En mer, face aux éléments déchainés, bien sûr qu’on a peur mais ce sont des situations que l’on apprend à maitriser et à gérer. Un sentiment de peur peut être handicapant, il ne faut pas se laisser envahir, il faut relever la tête, essayer de passer au travers des obstacles. La mer, comme la montagne, nous l’apprennent si bien.
Et si c’était à refaire…
MF : Je ne changerais rien. Je vis sans regrets car je réfléchis toujours avant de faire quelque chose. On a toujours des déceptions dans l’existence, la seule chose qu’il faudrait retirer ce sont les événements injustes comme la maladie d’un proche, même si cela nous aide à être plus humble. Les difficultés de la vie m’ont rendue meilleure.
AB : Je ferais exactement la même chose. J’essaie de vivre le monde au présent, tous les projets que j’entreprends n’aboutissent pas mais je ressens la satisfaction d’avoir fait le maximum pour les réaliser.
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