250 000 Français ont créé leur entreprise à l’étranger, soit 10 % de la population française établie hors de France. Et ils sont de plus en plus nombreux ! En cinq ans, le nombre de Français partis en Australie a doublé. Cette année, les quotas pour travailler au Canada ont été épuisés en quelques heures. Il y a ceux qui ont quitté la région pour quelques kilomètres, Bruxelles ou Londres, réputés pour leur dynamisme économique et leur qualité de vie. « A Londres, on peut créer sa boite en deux heures », entend-on souvent, en écho aux lourdeurs administratives en France. D’autres se sont exilés plus loin, très loin. Selon le rapport Doing Business 2014, Singapour et Hong Kong sont les deux pays où il est le plus facile de monter sa boite, notamment grâce à un cadre réglementaire propice à l’obtention de prêts. La Nouvelle-Zélande reste quant à elle sur la troisième marche du podium des économies dans lesquelles il est le plus aisé de faire des affaires. Là-bas, 12 heures et une seule procédure suffisent pour créer son entreprise, contrairement à la France où il faut engager 5 procédures et compter 6,5 jours en moyenne. Soif de voyages, lassitude de la sinistrose ambiante, manque d’opportunités professionnelles en France ? Qu’est-ce qui pousse les jeunes Français à s’expatrier ? Rencontre avec des Ch’tis partis tenter l’aventure au bout du monde.
Eux, ont choisi l’Asie. Amaury Watine et son épouse Stéphanie Bonduelle se sont installés en Inde en 2007. Ces jeunes lillois trentenaires travaillaient tous deux à Paris, elle responsable grands comptes chez une filiale de Total, lui designer chez Euro RSCG. « Nous voulions créer une agence de design à deux ». Pourquoi l’Inde ? « Pendant 30 ans, mon père a fait produire ses collections de textiles en Inde. J’ai grandi avec ses récits, les objets et les odeurs qu’il rapportait de chacun de ses voyages », explique Amaury. Les jeunes époux s’installent à Delhi et créent Ultraconfidentiel, une agence de design global qui travaille essentiellement sur des aménagements d’espaces commerciaux et de l’agencement d’intérieur. « Malgré des lourdeurs administratives liées à la bureaucratie indienne, notre projet a tout de suite plu. Pour être honnête, on en pensait pas rester ici si longtemps ». Sept ans et 3 enfants plus tard (« tous nés ici, ils ont une vie plutôt sympa »), Amaury et Stéphanie ont intensifié récemment leurs retours en France. D’ailleurs c’est à Lille qu’ils ont créé By Ultra leur filiale française. « Nous sommes en plein développement, nous envisageons de développer notre business à l’Inde entière, à Singapour, à Shanghai… sans oublier l’Europe ». Le mal du pays, Amaury le ressent souvent : « La famille, les copains, ça nous manque, même si nous avons noué des liens très forts à Delhi avec d’autres expatriés et des couples franco-indiens. Mais nous avons besoin de voyager, de nous inspirer de belles choses pour continuer à créer. Dans 10 ans, je ne sais pas où nous serons mais il y aura forcément un passage par la France, et ce sera forcément dans le Nord, pour nous recentrer sur les choses essentielles qui nous manquent », confie-t-il.
Le mal du pays, lui, ne le ressent jamais ! Alexandre Zurcher a créé son entreprise en Inde au cours de sa troisième année d’études à Sciences Po Lille, qu’il a choisie de passer à l’étranger. « En arrivant en Inde, je m’attendais à un dépaysement plus fort. Alors, j’ai pris une moto pour partir à la découverte du pays et de ses habitants ». C’est ainsi qu’en 2006, alors qu’il est encore étudiant, il créé Vintage Rides, une agence de voyage à moto qui propose des trips insolites associant le charme du pilotage d’une monture de légende, la moto Royal Enfield à la découverte de l’Asie (Inde, Mongolie, Sri Lanka, Bouthan, Népal). Huit ans plus tard, avec son associé, Alexandre vit à New Delhi, à la tête d’une entreprise d’une vingtaine de personnes en plein développement. En 2015, les deux copains envisagent la création d’une agence en France, soit à Paris soit à Lille, une ville dont il loue la culture de l’entreprenariat et le dynamisme économique. « Si nous devons chercher des financements, je chercherai à intégrer des réseaux de business angels à Lille », confirme Alexandre qui avoue à demi-mots « qu’une partie de moi est restée là-bas » ! S’il n’envisage pas pour autant de rentrer en France, Alexandre n’exclut pas non plus de partir ailleurs, là où le développement de Vintage Rides le portera, et si la carrière de sa compagne le permet. Mais s’il est tombé amoureux de l’Inde grâce à sa passion du voyage, Alexandre tempère la vision « romanesque » que l’on peut avoir du pays. « L’Inde n’est plus un pays low-cost. La taxe sur les salaires y est élevée, les charges sociales ont augmenté pour les étrangers et l’inertie de l’administration nous oblige à avoir beaucoup de personnel. Ici, tout prend du temps, il faut le savoir. Les gens qui déposent leurs bagages ici sont avant tout des gens qui aiment l’Inde ».
Dans 5 ans, 10 ans, 15 ans, où seront-ils ? Ces nordistes du bout du monde ne le savent pas trop. Mais une chose est sûre : quand on a goûté aux charmes de l’expatriation, difficile d’envisager un retour définitif en France.