Coupe du monde au Brésil oblige, je vous propose cette semaine de partir à la rencontre de deux jeunes entrepreneurs français qui ont choisi São Paulo pour vivre et créer leur entreprise. Ils sont jeunes, audacieux et ambitieux. L’une est autodidacte, l’autre tout droit sorti d’une école de commerce. A peine trentenaires, ils nous dévoilent leur vie et leur aventure d’entrepreneur dans ce pays “où tout est possible”.
Comment vous êtes-vous lancés dans l’aventure brésilienne ?
Pauline Charoki : C’était en janvier 2007, j’avais 23 ans. J’étais étudiante en droit et j’avais accompagné mon ex-mari au Brésil, car il avait le projet d’y créer une entreprise d’import-export. C’était pour moi l’occasion de connaitre un nouveau pays, une autre culture. Nous nous sommes installés et j’ai terminé mes études (un master en Droits de l’homme) à distance. Je ne connaissais pas un mot de portugais et je n’avais pas les moyens de m’offrir des cours. J’ai donc appris la langue par moi-même, au contact de la rue. Je me suis rapprochée de la communauté française au Brésil, j’ai envoyé des CV un peu partout et le Consulat de France m’a rapidement contactée pour me présenter une jeune femme, Alexandrine Brami, aujourd’hui mon associée. Elle avait été envoyée au Brésil par Sciences Po Paris, avec la mission d’accompagner des Brésiliens qui souhaitaient intégrer les universités françaises. Nous nous sommes rencontrées, le feeling est passé et notre aventure entrepreneuriale a démarré. Notre idée était d’importer la préparation Ipesup au Brésil. Nous avons testé notre idée sur un petit groupe d’étudiants et l’expérience a été concluante. Ainsi est né l’IFESP, l’institut d’études françaises et européennes de São Paulo, en janvier 2008.
Cyprien Hoffet : EN 2008, après mes études de commerce international en France, je suis parti étudier pendant un an en Argentine, à Buenos Aires. J’ai eu l’occasion de faire quelques voyages au Brésil, sac à dos, et le pays m’a tout de suite plu. J’avais 24 ans, j’ai décidé de m’y installer. J’y suis allé au culot, en faisant du porte à porte dans les entreprises pour y distribuer mon CV. J’ai décroché un stage de sept mois chez Altios International, une société de consulting et d’aide à l’implantation d’entreprises étrangères au Brésil. Ce stage a confirmé ma première impression : celle d’un pays où il fait bon vivre et travailler, avec de belles opportunités professionnelles à la clé. J’ai ensuite effectué pendant trois ans un V.I.E. (Volontariat International en Entreprises) dans une société brésilienne de transports et de logistique. J’y ai acquis mes compétences actuelles, qui m’ont permis de créer, il y a 2 ans, Novatrade, une entreprise de trade et d’import-export. Le dynamisme et la philosophie positiviste des Brésiliens insufflent au pays son optimisme. Créer sa propre entreprise en est presque facile.
Quels sont les obstacles auxquels vous avez du faire face lors de la création de votre entreprise ?
PC : Je suis autodidacte, je me suis donc « réinventée » entrepreneur. Le challenge était de taille : je voulais réussir sans aucune formation en management, dans un pays étranger, sans y parler la langue et sans grand moyen financier. Qui plus est, j’étais une femme entrepreneur, dans un monde très masculin. Bref, le défi était de taille. Je me suis donnée trois mois pour me débrouiller en portugais. Avec Alexandrine, nous avons suivi un à un tous les pas de l’entrepreneur, selon une méthodologie très organisée : enquête de marché, plan de vente, business plan, étude marketing. Il nous a fallu six mois pour mettre en place notre offre, dans un marché de niche, grâce au soutien d’un groupe de mentors qui nous ont aidé dans leurs domaines de compétences respectifs (marketing, finances, pédagogie, networking).
CH: L’intégration passe par la langue. J’avais la chance de parler le portugais, un atout pour affronter les contraintes administratives. Au Brésil, la principale difficulté est le respect des délais. Tout est très long. Il faut savoir que tout va mettre beaucoup de temps, et que rien ne se passe jamais comme on l’a prévu. La flexibilité est le mot clé au Brésil ! De plus, les Brésiliens fonctionnent beaucoup à l’affect, contrairement en France. La barrière entre vie personnelle et vie professionnelle est très mince. Même dans les administrations, pour obtenir un papier, une autorisation, il faut entretenir la relation, c’est une sorte de « corruption amicale ». Cette pratique est très ancrée dans les habitudes, même si les choses évoluent tout doucement.
Faire du business au Brésil, est-ce si différent qu’en France ?
PC : C’est évident ! Le Brésil est un pays d’entrepreneurs, qui favorise l’envie d’entreprendre ! Si l’on vise un marché de niche au Brésil, on peut réussir plus vite et plus fort car il y a peu de concurrence. Le marché est énorme : 20 millions d’habitants à São Paulo, rendez-vous compte ! Au Brésil, on peut gagner sa vie très bien et très rapidement, à condition d’être à l’écoute du marché.
CH : On ne fera jamais au Brésil du business comme on le fait en France, ni même en Europe. Au Brésil, vous devez devenir l’ami de votre client pour développer votre business. L’ambiance est décontractée. On travaille mais à un rythme plus cool. Tout le monde s’appelle par son prénom, le dress code se rapproche plus du jean/t-shirt que du costume. Mais tout cela ne nous empêche pas de rester très professionnel. C’est assez déstabilisant au début car cela ne fait pas partie de notre culture. En tant qu’européen, on pourrait avoir tendance à entrer dans une confrontation directe avec une personne. C’est justement l’erreur à ne pas commettre. Les Brésiliens sont très émotifs et prennent tout à cœur. Il suffit de le savoir. J’ai encore beaucoup à apprendre de mes employés brésiliens dans ce domaine !
Cette cool attitude se ressent-elle dans votre style de management ?
PC : Nous appliquons les mêmes règles de management pour les collaborateurs français et brésiliens, à qui nous imposons des outils de reporting assez stricts, mais avec des nuances dans la relation humaine. Avec les collaborateurs brésiliens, nous savons que nous devons prendre en compte la dimension affective. Tandis qu’avec nos collaborateurs français, nous devons davantage instaurer des limites, en matière de comportement notamment.
CH : Oui, je me suis adapté à mes employés (quatre brésiliens et un français) et à leur culture. Au Brésil, vous devez valoriser la personne, essayer d’avancer ensemble de façon amicale. Le style de management est forcément différent. Avec mon collaborateur français, je peux prendre un ton plus direct, là où mes employés brésiliens se sentiraient agressés. Combien de directeurs français débarqués au Brésil se sont cassés les dents au bout de six mois à cause d’un management trop directif ! Cette remise en question de notre management « à la française » est indispensable pour réussir au Brésil.
Comment les Français sont-ils perçus au Brésil ?
PC : Les Brésiliens adorent la France, capitale du chic et du glamour ! Le fait d’être étrangère, et surtout française, a été pour moi un réel atout. Vous savez, les Brésiliens âgés de 40/50 ans parlent bien le français car c’était leur deuxième langue à l’école. La culture française est très présente dans la vie et dans l’esprit des brésiliens. D’un point de vue plus professionnel, nous sommes perçus comme des personnes très organisées, très méthodiques, mais un peu autoritaires et assez froides. Avec les Brésiliens, tout est question de forme. Nous, Français, sommes un peu grossiers !
CH : Il y a de vrais a priori concernant les Français ! On entend ici et là qu’ils sont maniérés, qu’ils sont négligés (ils ont inventé le parfum pour éviter de prendre des douches !). Bref, les blagues rigolotes pour nous charrier ne manquent pas, de la même façon que nous nous plaisons à taquiner nos amis belges ! En vrai, nous sommes respectés car nous avons fait des études, nous sommes instruits et éduqués. Je dois dire que le complexe brésilien envers la France, pays du sud contre pays du nord, l’Amérique du Sud contre l’Europe (le « premier monde »), se ressent parfois. Après, ce ne sont que des taquineries rigolotes. Qui aime bien châtie bien !
La suite de cette interview croisée est à lire dans le mensuel économique EcoRéseau, disponible en kiosque ou sur le web
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