A aucun moment, Jérôme Kerviel ne se pose en victime. Repenti, humble, souvent émouvant, l’ancien trader a été condamné en 2008 à trois ans de prison ferme et 1 million de dommages et intérêts pour avoir fait perdre 4,9 milliards d’euros à la Société Générale. Plus combatif que jamais, déterminé à poursuivre le combat judiciaire pour « faire triompher le droit », il dit être aujourd’hui un nouvel homme, un homme meilleur. Et ne regrette rien de ces 11 dernières années…
Grandeur et décadence. « Dans l’effervescence de la salle de marché, j’avais le sentiment que rien ne pouvait m’arriver. Je passais 15 heures par jour devant mes 8 écrans, dans une ambiance survoltée. « Ce n’est que du fric et ce n’est pas le nôtre », nous disaient nos managers. A un moment, on perd la notion de la réalité, il n’y a plus d’échelle de valeur, on succombe à la griserie des chiffres. C’est la spirale, l’engrenage, jusqu’au jour où… »
Quatre procès et une détention. « L’intrusion médiatique dans ma vie privée, je l’ai très mal vécue, tout comme la détention provisoire, un cauchemar ! Lors des procès, j’ai davantage été spectateur qu’acteur. J’ai eu ce sentiment de ne pas m’être défendu comme je le devais même si j’avais cette sensation de jouer ma vie à chaque instant ».
Pensées sombres. « J’ai eu le pétard dans la bouche une première fois et la corde au cou une seconde fois. Oui, j’ai pensé au suicide. Je reconnais mes fautes mais je refuse de payer pour un système financier devenu fou ».
Sa rencontre avec le Pape François. « En 2014, je devais près de 5 milliards d’euros à la Société Générale, la Cour de cassation n’ayant pas encore cassé les dommages et intérêts. Quelques jours plutôt, j’avais dit à mon avocat : « Je ne crois plus en rien, il faudrait un miracle ». Par l’intermédiaire d’un journaliste suisse qui connaissait le Pape François, je lui ai fait passer cette lettre dans laquelle j’écrivais : « Je suis l’homme le plus endetté que l’humanité ait jamais portée. Mon nom ne vous est peut-être pas inconnu : il est à lui seul devenu l’évocation de ce que la finance a pu engendrer de pire (…) Sans plus d’autre alternative, je m’en remets donc totalement à vous ». Le Pape François a accepté de me recevoir et, pour respecter à un pari, je suis rentré de Rome à Paris à pied. Ces 2 000 kms m’ont apporté de grands moments de bonheur, de très belles rencontres en chemin et une occasion inespérée de me retrouver face à moi-même. En quelque sorte, cette marche contre la tyrannie des marchés m’a sauvé ! »
Sa vie aujourd’hui. « 1 million d’euros à rembourser, à l’échelle du dossier, ça représente 1€ symbolique. Mais à l’échelle de ma vie, c’est une autre histoire… Sans emploi et ruiné il y a encore deux ans, je n’avais plus de domicile. J’ai été hébergé par un ami, d’autres m’ont dépanné pour que je puisse continuer à manger et à vivre. Et puis, j’ai rencontré ma femme et j’ai aujourd’hui le grand bonheur d’être papa d’une petite fille dont je m’occupe beaucoup. Des projets professionnels se dessinent… ».
Si c’était à refaire ? « Je ne regrette pas ma vie de trader ni ce qu’il s’est passé. La détention n’est pas, aujourd’hui, un mauvais souvenir pour moi. Je ne suis plus aujourd’hui le même homme. J’ai appris à positiver la vie qui était la mienne pour aller de l’avant. Mon seul regret : le mal que tout cela a causé à ma famille et à mes proches ».
Extraits d’une conférence donnée le 17 octobre 2019 dans le cadre du Grand Littoral Business Club.