Je l’ai rencontrée un soir d’été, au cours d’un shooting photo organisé à des fins professionnelles. A vue d’œil, j’y allais avec des pieds de plomb, pas vraiment très à l’aise avec l’objectif. A l’instant où j’ai poussé la porte de son studio de la Condition Publique, à Roubaix, Delphine m’a fait de l’œil. J’ai su que de ce moment allait naître une belle rencontre. Simple, authentique, vraie. J’ai eu envie de la revoir, quelques semaines plus tard. Cette fois, entre nous, les rôles avaient changé. Portrait.
Son sourire irradie, son rire est cristallin, sa présence vous enveloppe. Delphine Chenu, 48 ans, a de l’allure, une spontanéité désarmante, une classe naturelle, ce petit quelque chose que l’on envie tous. Née à Haubourdin d’un papa métissé vietnamien et d’une maman ch’ti, elle porte en elle un bel héritage, dont elle est très fière. Artiste accomplie, elle consacre sa vie à la photographie. « Papa était passionné de photos, je l’ai toujours vu avec un appareil dans les mains. A la maison, des tas de livres trainaient un peu partout. Jusque l’âge de 13 ans, j’ai été une enfant unique, je m’ennuyais un peu alors j’aimais me plonger dans ces images, m’imprégner de ces photos que je trouvais magnifiques. Enfant j’étais dans ma bulle, dans mon monde. J’étais assez seule au fond, cela m’a permis de développer un certain imaginaire, un sens artistique ».
A 17 ans, c’est la révélation. « J’ai pris l’appareil photo de mon père, je me suis amusée. Il s’est passé un truc très fort. la photo, il fallait que j’en fasse. Notamment le portrait. Mais c’est resté un hobby pendant des années car je n’étais pas prête à monnayer ce qui était au départ une passion ». Après des études aux Beaux-arts à Tourcoing, Delphine mène une vie d’adulescente. Elle expérimente les choses, se laisse porter par la vie, sans vraiment ressentir la pression du travail. « A 26 ans, je me suis quand même dit qu’il était temps que je trouve un vrai travail. Dans la photo ou dans autre chose. Car la photo était trop passionnelle pour moi ». Elle répond à une annonce pour devenir modéliste et entame une formation continue pour adultes à Roubaix. Embauchée au Sentier à Paris, elle se lance à fond dans son travail. « Je faisais du patronage pour l’industrie textile, je dessinais des vêtements à plat. Ça me plaisait, c’était manuel, artistique, on voyait le produit fini, c’était extrêmement concret ». Avec toujours en filigrane, la photo, dans un coin de sa tête.
« A l’âge de 36 ans, je me suis réveillée. Je m’étais rendue compte que je n’étais pas vraiment adaptée au monde de l’entreprise. La photo me faisait de l’œil, je me suis dit : c’est maintenant, tente ta chance ! », raconte-t-elle. En 2006, elle crée Portraits sensibles. « Mes parents étaient eux-mêmes entrepreneurs. Je ne me suis pas installée en tant que photographe artiste, je voyais ça comme un business. Mes clients étaient aussi bien les particuliers (au début les copains, puis les copains des copains) que les entreprises. Mon studio était chez moi à Roubaix, mais très vite il a fallu pousser les murs ». En 2015, Portraits sensibles devient 28 Portraits. « J’avais besoin de donner une évolution à mon travail. J’ai eu envie de développer davantage de portraits d’entreprise, en y mettant une vraie patte artistique. Les entreprises veulent des beaux portraits vivants, c’est à moi d’être force de proposition et ça me plait ».
Aujourd’hui, la dimension artistique d’un cliché est sa priorité. « Dans la photo, il y a la technique mais il y a surtout le regard. Sans le regard, la technique ne vaut pas grand chose. Comme les gens ne sont pas toujours à l’aise devant un appareil photo, j’ai essayé de développer ce côté « on oublie l’appareil photo. Je veux qu’il y ait une forme de vérité qui ressorte des portraits, faire ressortir un aspect de sa personnalité. J’y parviens souvent », dit-elle. Delphine a ce don inouï de transmettre. Sa joie de vivre, son peps, son énergie : « Ton âme t’appelle à faire quelque chose qui te ressemble personnellement. Je suis en quête de vérité : j’ai envie d’être vraie avec les gens qui viennent dans le studio. Je ne suis pas une prédatrice. Je vole des instantanés, des portraits mais je ne veux pas que ce soit fait à leur insu, il faut qu’il y ait une complicité, un échange, une forme d’amusement, de l’énergie qui passe ». Comme un coup de cœur au premier coup d’œil !
Pourquoi 28 Portraits ?
J’ai réalisé 28 portraits de chefs d’entreprise à l’occasion d’un livre paru sur les entreprises centenaires de la région. Curieusement, le chiffre 28 revenait toujours à ce moment-là dans ma tête. En numérologie, il signifie l’alliance de la spiritualité et de la matérialité. Ça me représente assez bien. 28, c’est aussi le cycle moyen d’une femme, je suis une femme. Et dans 28, il y a le signe de l’infini : le signe de tous les possibles.
Quelle actu ?
Je relance un projet entamé il y a 7 ans. J’avais envoyé un mail à mes clients les invitant à venir poser avec la personne qu’ils aimaient, en jean et buste nu. J’aime proposer des projets inattendus à mes clients. Ça a cartonné : j’ai eu 90 binômes ou trinômes sur une journée. Des clichés étonnants. En 2016, je relance ce projet avec les mêmes personnes en l’élargissant à de nouveaux clients. Le but : sortir un livre avec les deux clichés, avant-après.
J’entame un autre projet avec une personne que j’aime beaucoup. Rémy Hermetz lance son entreprise et parle spiritualité aux dirigeants. Il voulait que je le prenne en photo en train de méditer dans un espace urbain. On a fait une série de photos assez fortes. Un projet intéressant et porteur de sens pour lui comme pour moi. Cette dimension sociétale guide mon travail.
Un portrait de famille, des photos d’entreprise ?
Pas de stress, on papote, on prépare la séance ensemble, on échange et on shoote. Less is more : j’essaie de simplifier au mieux !
Sur rendez-vous
www.28portraits.com